• Le Seigneur des Idiots (partie 4)

    Les jours qui suivirent ne furent pas de tout repos pour les trois hommes. Comme ils s'enfonçaient un peu plus loin chaque jour vers le nord, les villages se faisaient de plus en plus nombreux, tout comme les gens qui y vivaient. A chaque rencontre, Zhara faisait preuve d'un cullot affreux, et il n'était pas rare qu'après s'être montrée vulgaire, elle participâ à la bagarre qu'elle avait elle-même provoquée. 

    Ainsi, Gandoulf avait les traits tirés, l'oeil hagard, et perdait un peu la tête.

     Comme s'ils avaient besoin de ça, en plus de l'Elfe psychopathe et lunatique, songeait Utz en avançant, le nez baissé sur ses pieds sales. Un individu lui avait soutiré ses chaussures pendant qu'il dormait. Il se demandait si ce n'était pas Zhara qui avait fait le coup, pour les revendre au marché noir.

    Alors que le soleil se couchait, embrasant le ciel d'une lueur rouge orangée, le jeune lilliputien apperçu une ferme, comme perchée en haut d'une colline, quelques centaines de mètres plus loin. Il la désigna à Zhara:

    "- Le prochain village doit être à des lieues de marche, et encore. 

    - Je connais bien la région, petit homme. Il y en a un pas très loin.

    Utz jugea le pour et le contre, et décida de la jouer sale marmot rebelle. Il se laissa choîr sur les cailloux et croisa les bras, l'air déterminé:

    - Je ne ferai pas un pas de plus si nous n'allons pas dormir dans cette bicoque. 

    La jeune femme le jaugea du regard quelques instants avant d'éclater de rire et de lui tendre la main:

    - Ca, on peut dire que vous les nains, vous avez de la suite dans les idées!

    - Je suis un lilliputien.

    - Oui, ça se voit, hein ? Bon, viens, on va pas y passer la nuit.

     

    Le propriétaire de la petite fermette était un vieil homme à moitié sourd, à la longue barbe blanche et aux yeux vitreux. Il fallut un moment à Utz pour lui faire comprendre qu'ils désiraient gîte et couvert, mais une fois que le vieillard eut apperçu le décolleté plongeant de Zhara, ce fut comme s'ils se connaissaient depuis toujours.

    - Il s'appelle Greldig, souffla la jeune voleuse à Utz, pendant que le vieil homme était allé ranimer la cheminée dans la cuisine. C'est un vieux barjo, que tout le monde surnomme Greldingo. Il aime beaucoup les jolies filles.

    Ca, Utz l'avait bien compris.

    Greldingo revint avec une marmitte pleine d'un ragout au fumeux horriblement tentateur. Utz sentit son estomac gronder.

    - Parole, tu vas péter plus que la foudre, mon jeune ami! s'exclama le vieillard, se croyant drôle. 

    Le jeune nain -pardon, lilliputien- grinça des dents en ravalant une réplique acerbe. 

    Tandis que leur hôte les servait, Utz observa Gandoulf, vaguement inquiet. Il doutait que, tout plongeant le décolleté de Zhara fut-il, Greldig les garde sous son toit si le prêtre rasta se montrait dérangeant. 

    Celui-ci contemplait le plat de ragout, l'air hagard. Un sourire juvénile s'étira lentement sur son visage, et il leva les yeux.

    - Mamit' vol'!

    - Gné ? fit Greldig.

    - Mamit' vol, mamit' volante!

    - Il dit que la marmitte vole, traduisit Zhara, en âme charitable qu'elle était. 

    Greldig se contenta de hausser les épaules, et de grogner:

    - Ah, ces étrangers...toujours en train de sniffer n'importe quoi...

    Et gna gna gna, et gna gna gna.

    Le repas une fois terminé, Utz poussa Gandoulf dehors mais, voyant que Légorille n'avait pas l'air trop psychopathe ce soir là, décida de le garder à l'intérieur. 

    Greldig étendit ses longues jambes râblées devant l'âtre et soupira d'aise, en bourrant sa pipe.

    - Pardonnez ma curiosité, commença Utz, pas repentant du tout, mais nous sommes à la recherche d'un chevalier. Il se nomme Ragnagor, me semble-t-il. Vous en avez peut-être entendu parler ?

    Le vieillard à la barbe tachée de vin se gratta la tête, et onc pu voir multitude de pellicules tomber sur le parquet.

    - 'Tendez que j'me souvienne...un ch'valier, c't'un soldat, c'est bien ça ?

    - Pas vraiment non. Un chevalier est un homme d'arme qui a été adoubé par une personne de sang royal, et son devoir est de venir en aide et de protéger la population, et...

    - Moué, c't'un bonhomme qui tient un coupe-choux, c't'un soldat quoâ.

    Utz préféra abandonner. En plus, Zhara se bidonnait et ne tentait même pas de le cacher.

    - Oué, c't'un soldat, grogna-t-il. Alors, vous savez où il est allé ?

    - Comment zavez dit qu'y s'app'lait, déjà ?

    - Ragnagor, répondit Utz, la patience même.

    - Ragnagor, Ragnagor... y 'm'semble bien qu'jai entendu parler d'un Ragna machin chose à un moment donné, oué.

    - Et...c'était quand, ce moment ?

    Le vieillard s'exclaffa en se frappant sur les cuisses:

    - Ah bah, dame! Si j'le savions, j'aurions d'jà répondu à vot' seigneurie! A mon âge, les hommes y z'ont pu toute leur tête, pardi.

    - J'avais remarqué, oui.

    - Gné ?

    - Par où est-il parti ? intervint Légorille, un bon sourire affiché sur son visage pâle.

    - Vers la Forêt Originelle, j'crois ben.

    Utz fronça les sourcils:

    - Ce n'est pas vers le Nord. On nous a dit qu'il était allé vers le Nord.

    - Dame, moi y m'a dit qu'il allait vers la Forêt. Pour r'trouver un ch'val perdu. Le gugus pas très fûté, si vous v'lez mon avis...pour perdre un ch'val, tout d'même! Ah! Faut l'faire!

    - Il vous a dit ?! Il est venu chez vous ?

    - Moué. Il parlait en lasalamecs.

    - Salamalecs.

    - C'est c'que j'dis! N'est t'y pas que c'est ce que j'y dis, au p'tiot, jeune d'moizelle ?

    Zhara eut un sourire attendri et ronronna:

    - N'est-ce-pas qu'il est adorable ?

     

    Au même moment ailleurs, Gandoulf était en pleine concentration. Cela faisait maintenant une dizaine de minutes qu'il tentait d'entrer en communication télépathique avec une des chèvres de la bergerie. La bête sur qui il avait jeté son dévolu le fixait de ses yeux ronds et idiots en machouillant un brin de paille,.

    - Entends-moi, pensa de nouveau Gandoulf en plissant les yeux, comme si cela pouvait favoriser sa concentration. Je suis ton maitre. Si tu m'entends, bêle une fois.

    Il rouvrit les yeux. La chèvre n'avait pas bougé, et mâchait toujours. Elle n'avait pas vraiment le genre d'aura écrasant qu'il était recommandé pour la réussite de l'expérience.

    - Sale carne! tempéta Gandoulf en donnant un gros coup de pied dans une botte de foin. 

    Cela fonctionnait pourtant avec les grands prêtres de la Cité. Il ne voyait pas trop pourquoi lui, n'y arrivait pas. Il faisait pourtant tout pareil qu'eux! Sur les archives qu'il avaient lues, ça disait que le prêtre qui devait recevoir le message télépathique portait une barbichette. 

    Il s'approcha de la chèvre et lui souleva le menton, l'air sérieux. Il y avait bien une barbichette. A tout hasard, il réessaya:

    - Entends-moi. Je susi ton maître, tu me dois obéissance. Si tu m'entends, bêle une fois.

    Un bêlement musical le fit ouvrir grands les yeux. La chèvre roulait des yeux appeurés en fixant un point derrière lui. Elle finit par détaller et rejoindre ses comparses.

    - J'ai réussi! J'ai réussi! S'exclama Gandoulf en entamant une danse de la joie. 

    - J'ai ré...u...ssiiiiiiiiiiiii!

    Il termina sa chorégraphie par le signe de la victoire, et failli éborgner Utz, qui arrivait juste à ce moment là.

    - Hééééé mais tu fous quoi bordeeeeeeeeel! s'écria-t-il tandis que ses yeux pleuraient. Il éclata ensuite en imprécations qu'il ne serait pas poli de recopier ici. 

    Alors que le prêtre s'étendait en excuses, Légorille crut bon aller chercher un seau d'eau froide, et de le vider sur la tête de celui-ci. 

    Gandoulf poussa un cri de chat outragé et bondit en arrière, avant de secouer la tête dans tous les sens, ses dreads-locks voltigeants de toutes parts. 

    - Mmh, ça marche plutôt bien, fit Zhara,  en fixant Légorille avec une moue pensive. Je me demande si ça marcherait aussi bien sur toi...

    - Sur moi ? 

    Mais l'Elfe ne put en savoir d'avantage, car Utz, qui avait cessé de pleurnicher, se redressa et expliqua à Gandoulf ce qu'ils avaient appris.

    - Oh, mec! T'es vraiment un chic type! s'exclama le prêtre en serrant son ami contre son coeur, si bien que ses pieds ne touchaient plus terre.

    - Pour ça, c'est un bon et gentil petit nain.

    - Lilliputien!

    - Je croyais que tu t'appellais Utz ?

     

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