• Cendrillon

    J'ai eu cette idée un soir, et dès le lendemain, j'écrivais ceci... j'espère que cette nouvelle vous fera autant rire que j'ai ri en l'écrivant! 

  • Une envie... 

     

      

    Cendrillo

     

    Un cri résonna dans le château et je levais la tête du sol:

    "- CENDRILLON!"
    Ma belle-mère, dans l'un de ses accès de bonté, devait sans doute me supplier de descendre dîner. Cela faisait déjà plusieurs fois ce soir, d'ailleurs, mais...combien exactement ? Alors là, aucun idée.
    Je continuais à frotter le parquet de la vieille chambre, tout en parcourant la pièce du regard: vitres à laver, tenture à dépoussiérer, lit à refaire...mon Dieu! C'était fou ce que ce manoir pouvait être sale. J'avais beau frotter, astiquer, il restait toujours un petit grain de poussière quelque part, et j'étais obligée de tout recommencer. Je ne supportais pas la saleté. Elle me hérissait le poil, si bien que j'en oubliais parfois de manger. Voir un mouton de poussière me rendait hystérique, je me demandais vraiment ce que Javotte et Anastasie, mes deux demie sœurs, feraient sans moi. Elles vivraient sans doute leur misérable petite vie dans la saleté. Un tressaillement me parcouru les épaules à cette idée, tandis qu'un bruit de pas empressé se faisait entendre. Peu après, Anastasie apparu dans l'encadrement de la porte. Elle avait une mine proprette et hautaine, et l'air excédé. Je remarquais aussitôt une moumoute grise sur le bas de sa robe. 
    "- Ca fait deux heures qu'on t'appelle!
    - Vraiment ? C'est fou comme le temps passe vite quand on s'amuse, fis-je en ne quittant pas la moumoute des yeux.
    - Qu'est-ce que tu fiches ?
    - Je lave le parquet. Et ensuite je vais astiquer les fenêtres, dépoussiérer la tenture et gratter la mousse sur les murs. D'ailleurs, tu as un mouton de poussière sur ta robe.
    - De la mousse sur les murs ? fit ma demie soeur en parcourant les murs des yeux. Puis, en se tournant d'un bloc vers moi: Cendrille, t'es maniaque. Y a rien du tout sur les murs, ils sont nickels. 
    - Tu as un mouton de poussière sur ta robe, Anastasie.
    - Tu m'écoutes ?
    - Veux-tu bien dire à notre mère que j'arrive dans un instant ?
    - Certainement pas! Tu viens avec moi."
    Elle m'attrapa par le bras et me conduisit fermement dans les méandres de couloirs menant à la salle à manger. J'étais un peu chagrinée de devoir laisser mon ménage en plan. D'autant plus que j'aperçus durant le trajet quelques touches de saleté de ci, de là. Mais comme une petite voix me soufflait dans ma tête que j'avais dépassé les bornes, je suivis Anastasie docilement.
    La salle à manger était une vaste pièce chaleureuse grâce à son immense cheminée. Je remarquais distraitement que Javotte avait encore répandu de la cendre partout en rajoutant une bûche dans le foyer.
    Notre mère était assise en bout de table, et se tenait la tête dans les mains. Javotte arborait une expression arrogante, comme à son habitude. Elle lissa sa minei-jupe sur ses cuisses en mâchonnant son chewing-gum:
    "- Tiens, v'la l'autre fêlée. 
    Ma belle-mère m'observa à travers ses doigts:
    - Laisse-moi deviner. Tu nettoyais le carrelage de la troisième salle de bain ?
    - Non, le parquet de la chambre d'amis du dernier étage.
    Un soupir à fendre l'âme résonna dans la pièce tandis que ma belle-mère se redressait, l'air douloureux.
    Durant un long moment, on n'entendit que les bruits de mastication de Javotte. Et puis, n'y tenant plus, je m'écriais:
    - Anastasie, tu as mouton de poussière sur ta robe, tu le savais ?
    Ma belle-mère fondit en larmes et s'affala sur la table. Il s'en était fallu de peu pour que son visage n'aille s'écraser dans le plat de pâtes. A la place, son chignon dégringola sur le côté. Sans aucun doute, le majordome allait retrouver quelques cheveux dans le bol de sauce bolognaise.
    Anastasie s'empressa d'aller la réconforter:
    - Tu ne vois donc pas le mal que tu fais à maman ? Explosa-t-elle en me foudroyant du regard.
    - Mais je ne vois pas ce que je fais de mal...fis-je plutôt innocemment. 
    - Je l'savais. Elle a un grain, c'te fille.
    - Tu as un mouton de poussière sur ta robe, chère soeur.
    - Mais je m'en fiche, Cendrille! 
    - Mais ça n'est pas propre...
    Anastasie entreprit de se masser les tempes et marmonnant.
    - Cendrillon ? dit Javotte en tournicotant une de ses dreadlocks autour de son doigt.
    - Oui ?
    - Ca te dirait de passer le balai dans ma chambre ?
    - Oh, avec plaisir! Je peux même laver tes carreaux, si tu le souhaites.
    Javotte échangea un regard entendu avec Anastasie. Je ne comprenais pas très bien ce qu'elles me reprochaient exactement. Et ce mouton de poussière sur la robe d'Ana qui me narguait toujours...
    Les sanglots de notre mère commencèrent à s'apaiser, et Anastasie lui tendit un mouchoir en me fixant sans ciller:
    - Cendrille. Pourquoi passes-tu tant de temps à astiquer, nettoyer, dépoussiérer ? Regarde-nous, Javotte et moi. Nous avons ton âge, et pourtant nous avons des distractions fort différentes des tiennes! Nous nous occupons à peindre, lire, écrire, apprendre le chant et la musique...
    - Et fantasmer sur des beaux gosses.
    - Javotte! Fit ma belle-mère, le nez toujours humide et les yeux rouges. Mes chéries. Le Roi organise un bal au palais, il me semble qu'il désire marier son fils et ça me ferait vraiment, vraiment plaisir que l'une de vous trois parviennent à chiper la place au Baron Mandor et à sa stupide fille.
    - Hette est plutôt jolie, fit Anastasie sans réfléchir.
    - Oui, mais imaginez un peu l'horreur si elle parvenait jusqu'au trône en épousant ce crétin de Prince Philippe! La Reine Hette ! Mon Dieu. Je n'ose même pas imaginer à quel point les Royaumes voisins se gausseraient de nous.
    Un silence gêné s'abattit sur la table. 
    - C'est pourquoi, mes chéries, je vous supplie d'épouser cet imbécile heureux, et de lui faire de beaux enfants.
    - Maman, nous n'en sommes pas là, reprit Ana en rougissant jusqu'à la racine des cheveux.
    - Oui, mais ça viendra. L'une de vous trois devra l'épouser.
    Javotte choisit ce moment précis pour poser un pied sur la table et se gratter le mollet avec volupté.
    - Enfin, une de vous deux. Cendrillon, ma chérie.
    - Oui, maman ?
    - Tu es la plus jolie, le Prince a toutes les raisons de te préférer à Anastasie, si peu est qu'il sache déjà quel type de femme il est préférable d’épouser.
    - C'est gentil pour moi.
    - Anastasie, je t'en prie, ne te montre pas si grincheuse! Je suis sure que Cendrille sera d'accord pour te prêter un peu de sa fortune.
    - Bien sur, m'empressais-je d'ajouter. Je te donnerai tout ce qu'il me restera, après que j'ai acheté de nouveaux balais, et un aspirateur. J'en ai vu un l'autre jour, pas très cher, et puis...
    - C'est justement ce...cet aspect de ta personnalité qu'il faudrait...améliorer.
    - Et je pourrais m'acheter un aspirateur ? Fis-je tout sourire.
    - Oui, tu pourras t'acheter un aspirateur.
    - Oh, merci maman!
    - MAIS tu dois d'abord épouser Philippe. Ca ne devrait pas être trop compliqué, ajouta-t-elle pensivement.
    - T'as juste à l'pécho durant l'bal.
    - Javotte! Surveille ton langage!
    - En plus il est plutôt bien gaulé, s'tu vois c'que j'veux dire. Ca devrait être un bon coup...
    - JAVOTTE!
    L'intéressée se leva d'un bond et tira son tee-shirt pour masquer son piercing au nombril, ce qui eut pour effet de le plaquer sur ses seins:
    - ON ME LAISSE JAMAIS RIEN DIRE ICI!
    - VA DANS TA CHAMBRE!
    Javotte marcha jusqu'à la porte, se tourna vers nous et hurla en pointant le poing en l'air:
    - LIBEREZ L'TIBET!
    Notre mère attendit que la porte de chambre de Javotte claque avant de poursuivre.
    - Il faudrait que tu essaies de ne pas trop parler de ménage pendant que tu danseras avec le Prince.
    - Je ne vois pas pourquoi, maman, peut-être aime-t-il lui aussi entretenir sa maison ?
    - Il doit pas chômer alors, fit Anastasie, morose. 
    - Le Prince vit au palais, chérie. 
    Je mis deux ou trois secondes à saisir.
    - Oh, Seigneur ! Mais ce doit être épuisant à nettoyer ! Une si grande maison…
    - Tu n’as pas idée, chérie, s’empressa d’ajouter ma belle-mère. C’est pour cette raison que tu dois l’épouser, histoire de lui donner un petit coup de pouce…tu comprends ?
    Oh que oui, je comprenais ! Ce pauvre garçon devait être éreinté d’astiquer un palais. Je me sentais capable de l’aider et, pour prouver ma bonne volonté, je m’exclamais :
    - Je pourrais passer le balai sous la table de la salle à manger après chaque repas !
    - Ca dépend quelle salle à manger, ricana Anastasie.
    - C’est si grand que ça ?
    - Maman, elle est bien trop naïve ! Le Prince ne tombera jamais dans le panneau. Cendrille est belle, d’accord, mais elle est aussi bien éduquée qu’une gardeuse de mouton de deux ans et demi. Trois maximum. 
    - Le Prince n’est pas très fut-fut non plus.
    - On marie les idiots, c’est ça ?
    Ma mère et Ana se défièrent du regard. Anastasie finit par détourner les yeux, une moue dégoûtée plaquée sur le visage. 
    - Et si tu débarrassais, Anna ? Reprit ma belle-mère, inflexible.
    - Laisse, je vais m’en charger !
    - Tu restes ici !
    Inquiète du ton qu’avait pris ma belle-mère, je me rassis sagement dans ma chaise et défroissais mon tablier. Alors que ma demi sœur s’affairait dans un silence réprobateur autour de la table, je remarquais à nouveau ce fameux mouton de poussière, accroché à un pan de dentelle.
    - Anastasie, tu…
    - Cendrille. Nous sommes donc d’accord ? Tu épouseras le Prince. 
    - Oui, maman, avec plaisir, mais…
    Ma belle-mère parut se dégonfler comme un ballon lorsqu’elle soupira :
    - Parfait. Je vais peut-être au moins parvenir à caser une de vous trois, c’est déjà pas mal. 
    - Oh, je suis sure qu’Ana pourra toujours épouser le palefrenier, fis-je naïvement. Il a l’air de bien l’aimer.
    - Le palefrenier ?! S’écria ma demie sœur en laissant tomber une assiette sur le sol. Elle se brisa et le bruit se répercuta un moment dans la pièce. Et puis, un gros sanglot, puis deux, puis trois égrenèrent l’imposante poitrine d’Ana. Elle finit par se mettre à pleurer elle aussi, et s’enfuit de la pièce en courant. 
    Avec un certain soulagement, je vis que le mouton de poussière qui était accroché sur sa robe venait de tomber durant le mouvement. Souriant d’une oreille à l’autre, j’allais le ramasser, l’observais une seconde. C’était un gros, gros mouton de poussière. Heureusement que je l’avais ramassé !
    Ma belle-mère me regardait, la bouche entrouverte, et mortifiée. Elle semblait se demander pourquoi je souriais, alors je me dis que je lui devais bien une explication. Après tout, elle voulait bien que je m’achète un aspirateur !
    - Il est tombé ! »

     

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  • Cédant sous les suppliques.... 

     

    Cendrillon 2

     

    La salle de bal était illuminée par de lourdes guirlandes scintillantes, dont la lueur dorée caressait les courbes des danseurs. Ceux-ci se déplacaient avec grace sur le marbre blanc, suivant le rythme de la musique, et leurs visages étaient heureux. Nous connaissions certaines de ces personnes et, inconsciemment peut-être, je ne pus m'empêcher de remarquer que la robe de la Duchesse d'Erat était froissée.

    Lorsque j'en fis la réflexion à ma mère, celle-ci serra les dents pour s'empêcher de répondre.

    " Rappelle-toi, Cendrille, fit-elle d'un ton péremptoire. Tu as promis de bien te tenir!"

    Docilement, j'hochai la tête. Comment aurais-je pu refuser un tel service à ma tendre mère ? Et puis, cela ne m'était pas agréable. Javotte m'avait longuement expliqué que la compagnie d'un jeune homme en bonne santé, et aux traits réguliers, n'était pas forcément un calvaire. Sans oublier qu'il était riche. Avec son argent, je pourrais m'acheter un aspirateur!

    Ma mère me guida à travers la foule du tout peuple rassemblé, jusqu'à un immense trône, installé entre deux pilliers marbrés de vert de jade. Il y siégeait un homme, souffrant ma  foi d'un léger embompoint. Il couvait du regard un adolescent monté en graine, qui ne devait pas avoir plus de treize ans. Le garçon, en plus d'avoir l'air stupide, contemplait ma mise avec une ardeur renouvelée. Oh, ciel! Pudiquement, je ramenai ma main à mon corsage.

    - Votre Majesté, scanda ma mère en s'inclinant bien bas devant notre monarque. C'est un réel plaisir de sentir votre présence parmis nous.

    Le vieil homme écarta ses paroles d'un geste dédaigneux de la main, et dit:

    - Assez de bêtises! Ferdinand, va donc faire mumuse avec la demoiselle, comme je te l'avais dit. 

    Le dénommé Ferdinand s'approcha de moi d'une démarche saccadée, comme s'il peinait à placer un pied devant l'autre.Nous nous fixâmes un long moment, puis, comme parcourue d'un électrochoc en croisant le regard de ma mère, je fis une réverence. Anastasie m'avait beaucoup fait répéter cette révérence, car elle jugeait la mienne peu convenable. Ce n'était tout de même pas ma faute si je ne pouvais m'empêcher de ramasser les moutons de poussière qui trainaient sur le tapis, si ?

    - Votre grace, m'empressai-je de minauder en papillonnant des cils, comme convenu.

    - B-bon-bon-bonsoi-soir, bégaya l'adolescent. Je contemplai un instant ses boutons d'acnée et ses épaisses lunettes qui floutaient ses yeux, avant de sourire. Il me fallait cet aspirateur.

    - Vous pardonnerez aisément mon manque de pudeur, votre Altesse. Accepterez-vous de valser avec moi ?

    - Oh ou-oui. B-bien sûr. 

    Tendant élégamment le bras à mon partenaire, je l'entrainai vers la piste de danse. Les couples s'écartèrent pour nous observer, et j'en vis quelques-un rire derrière leurs mains.

    Pourquoi riaient-ils ? Nous n'étions pas plus laids qu'eux! Enfin, pas moi.

    Un soupçon me troubla: et si le Prince Ferdinand avait un mouton de poussière sur lui ? 

    Ni une ni deux, je me mis à quatre pattes et lui tournai autour, recherchant le moindre grain de saleté.

    - Ma D-Douce... que f-faites vous ?

    - Oh, rien du tout! m'écriai-je en soufflant pour dégager la mèche qui m'était tombée sur les yeux. J'admire votre sol en marbre.

    Une lueur d'intelligence traversa les yeux marrons du Prince, et il récita:

    - Saviez-vous que le marbre est une roche métamorphique dérivée du calcaire, existant dans une grande diversité de coloris, pouvant présenter des veines, ou marbrures (veines et coloris sont dus à des inclusions d'oxydes métalliques, le plus souvent). Certains types de marbres portent des noms particuliers, par exemple le cipolin ou la griotte. Certains marbres, comme le vert antique, composés de calcaire et de serpentines, sont des ophicalces. Le mot vient du latin marmor. La sensation de froid que l'on a en touchant du marbre, bien qu'étant à la température ambiante, est due à sa forte effusivité thermique.

    Lorsqu'il eu terminé son exposé, il darda sur moi son regard passif. Incapable de dire quoique ce soit d'autre, je fis:

    - Oh, oui, ça doit être facile à nettoyer!

    La musique reprit, et nous nous mires à tournoyer. Après plusieurs minutes, alors que le pieds de Ferdinand enfonçait le miens pour la cinquième fois, je m'obligeai à faire la conversation, en pensant très fort à mon aspirateur.

    - Votre Altesse, pourquoi le Roi votre père vous a-t-il nommé Ferdinand ?

    Aussitôt, le visage de mon cavalier se durcit en une moue boudeuse.

    - Ferdinand est m-mon deu-deuxième pré-prénom, il trouve qu'il me v-va mi-mieux que Phillipe. Ph-phillipe est un nom de Roi, v-vous savez. J-je n'ai pas l'é-étoffe d'un R-roi.

    Un sourire sincère étira mes lèvres, attendrie que j'étais devant le minable spectacle qu'offrait ce garçon.

    - Mais vous n'avez que treize ans! Laissez le temps à votre Moi Profond et Intérieur de ressurgir! Vous y arriverez très bien, j'en suis sûre. 

    - Mon p-père est mon-monté sur le t-trône alors qu'il n'avait que neuf ans.

    - Et bien vous, vous prenez le temps de perfectionner votre habilité à règner, voila tout. Oh, regardez! Il n'y a presque plus personne sur le balcon. J'ai envie de prendre l'air, toute cette danse m'a donné chaud, pas vous ?

    "Si, si", grommela Ferdinand, m'emboîtant le pas.

    - Oh-oh, il y a de la poussière sur vos moulures au plafond, votre Altesse.

    - C'est po-possible, la gouvernante est m-morte la s-semaine dernière, et p-personne n'a p-pensé à la remplacer, de ce-ce fait, il règne une pa-pagaille monstrueuse dans le pa-palais. Vous saviez que ces moulures ont plus de deux-cent ans ? Elles ont étées moulées, puis peintes, par deux artistes célèbres: De la Castagna, et Robinsson. De la Castagna s'est bien évidemment inspiré du style néo-gothique, tandis que Robinsson lui a préféré le modernisme pur. A ne pas confondre avec le modernisme faux-cul, car celui-ci n'est pas vraiment moderne, vous comprenez ? Il y a aussi le modernisme hypocrite, mais cette mode nous vient de nous cousins d'Amerique, et...

    - Dites-moi... fis-je soudainement. Accepteriez-vous de me prendre pour femme ? Je veux dire, il y a quelque-chose que je veux absolumment, et avec votre argent, je pourrais me l'acheter. Je sais que c'est un peu précipité, mais je n'en peux plus d'attendre, j'espère que vous n'y verrez de ma part qu'un empressement juvénile, et... et amoureux.

    A mon plus grand désespoir, Ferdinand me fixa de ses yeux globuleux, sans prononcer le moindre son. Sa bouche ouverte était suffisamment explicite quant à l'état mental dans lequel il se trouvait.

    - Ouais bon, ben, j'vais chercher d'la vodka, fis-je, reprenant sans m'en appercevoir l'accent dédaigneux de ma petite soeur Javotte.

    Celle-ci m'avait conseillé d'utiliser de l'alcool fort, si jamais le Prince rebutait quelque-pas à toute idée d'unir nos coeurs à jamais. Je me fis la réflexion qu'elle me rebutait à moi aussi. Unir mon coeur à jamais avec un Prince grand, beau et fort, ayant assez de sous pour m'acheter un aspirateur, ça d'accord. Mais là, il ne s'agissait que d'un adolescent, bête comme ses pieds, bégayant tout le temps sauf lorsqu'il sortait sa science. Il n'était même pas joli à regarder. 

    Dégoutée, je saisis au passage un verre sur un plateau, que tenait un serviteur. J'en avalai le contenu d'une longue gorgée, et reposai le verre sur un autre plateau ambulant.

    Arrivée au bar, je dus me forcer un passage de force à travers l'épaisse masse puante, suante, de tous ces ivrognes. Lorsqu'enfin je pus me saisir d'un verre de vodka, je bousculai un homme qui prenait toute la place de toute manière, et le contenu de nos verres respectifs s'écrasèrent sur le sol, verres y comprit.

    Il y eut un moment de flottement, durant lequel tout le monde prit conscience de ma nature profonde. Un murmure parcouru la foule: C'est la folle, c'est la folle!

    Je me jetai au sol, frottant le marbre de mes mains pour nettoyer, couinant: Hiiii c'est sale, hiiiiiii ça coupe, hiiiiiiii!

    Un cri résonna dans la grande salle, et une poigne solide me repoussa. Je tombai sur les fesses, tandis qu'un homme vêtu d'une blouse -un docteur- nettoyait mes mains. Nettoyeeeeer....

    - Laissez-moi nettoyer, laissez-moi nettoyer!

    Je me mis à mordre, frapper, hurler, et un cercle se forma alors autour de moi, tandis que le médecin me relâchai, couvert de griffures. 

    Les gens riaient, se moquaient, mais ça m'était égal. Une silhouette apparu au-devant de la foule, et je reconnus ma mère. 

    - Cendrille, siffla-t-elle, le visage rouge de colère. CENDRILLE! Viens ici tout de suite!

    - J'arrive, mère, laissez-moi juste le temps de terminer ceci, j'ai presque fini...

    - TU VIENS TOUT DE SUITE, OU JE TE DONNE UNE FESSEE CUL-NU DEVANT TOUT LE MONDE!

    - Non, non, pas la fessée cul-nu, pas la fessée cul-nu! couinai-je en me redressant. 

    Ma mère me saisit par la manche de ma robe, déchirée en lambaux par les tessons de verres. Elle fendit la foule, se crispant un peu plus sous les moqueries,  et nous sortîmes enfin de l'enfer de la salle de bal. Je me fis la réflexion d'en parler à Javotte un jour, ça pourrait peut-être lui inspirer une idée de film d'horreur gorre. Ma mère m'entraina sur le perron à une vitesse folle, et je sentis une de mes pantoufles se déchausser.

    - Mère, mère, attendez! J'ai perdu une chaussure!

    - Je refuse de rester un instant de plus dans cet endroit! cria-t-elle. 

    Nous nous engoufrâmes dans la calèche qui nous attendait au bas des marches. Ma mère se laissa tomber sur le siège, et poussa un profond soupir en plongeant la tête entre ses mains.

    - Tumapofondémendéçue, entendis-je.

    - Pardon ?

    Ma mère releva la tête de quelques centimètres:

    - Tu m'as profondément déçue.

    - C'est la faute à cet homme! Il a fait tomber nos verres, et...

    - Je pense qu'il serait préférable d'envisager un autre plan de carrière pour toi.

    Je gardai un silence poli, attendant la suite. Oubliant son rang, ma mère s'étendit de tout son long sur le siège, et déserra son corset.

    - Pourquoi pas paysanne ? Tu aurais des tas de choses à nettoyer.

    - Oh, ce serait avec plaisir, mais... et mon aspirateur ?

    - En économisant, tu pourrais te l'offrir au bout de quelques années.

    - Oh, fis-je, déçue.

    - Ou tu demanderas à Javotte. Je crois qu'elle a l'intention de 'pécho' le fils de la Baronne Bourdu. 

    - Mère, fis-je en rougissant comme Anastasie. Comment parlez-vous donc!

    - A cette heure, plus rien ne m'atteint. (elle poussa un second soupir:) Enfin bon, je suppose que tu ne l'as pas fait exprès. Qui sait. Peut-être que Javotte voudra t'embaucher en tant que femme de ménage, lorsqu'elle sera baronne. Je lui en parlerai.

    - Oh, mère! Ce serait merveilleux!

    - En attendant, je ne veux plus entendre parler de... de poussière, ou d'aspirateur. Balaie dans ton coin si ça t'amuse, mais n'embête plus les autres. C'est bien compris ?

    Je m'empressai d'acquiescer, et finis par rêver à mon prochain travail.

    Lorsque la calèche s'arrêta dans la cour de notre manoire, je me précipitai à l'intérieur, trotinnant jusqu'à la chambre de ma plus petite demie-soeur.

    J'enfonçai la porte, et hurlai:

    - Javotte, Javotte, Javotte! 

    Une forme sombre gigota sous la couette, et je la lui arrachai. 

    - Tu veux bien m'engager comme femme de ménage, dis ? Dis oui, dis oui, dis ouiiiiiiiiiiiii!

    Le visage blaffard de l'adolescente émergea, les cheveux ébouriffés. Elle me fixa quelques secondes, la bouche patteuse, et finit par lâcher:

    - Toi, t'as pas réussi à pécho l'Phillipe."


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