• Le Seigneur des Idiots (partie 3)

    Aussitôt que l'inconnu avait toqué à la porte, Légorille avait bondi de sa couche. Utz également, pour l'empêcher de défoncer la porte avec un marteau qui traînait Dieu sait où.
    Le jeune lilliputien avait ouvert, et reconnu en le visiteur la jeune femme de la veille.
    Elle était nonchalamment appuyée contre le battant de la porte et le fixait avec effronterie.
    - B'soir. J'ai entendu dire que vous étiez pas du coin. Vous excuserez, j'en suis sure, ma vilaine et morbide curiosité qui m'a poussée à v'nir vous tirer du sommeil réparateur des gens honnêtes. 
    Utz, encore à moitié endormi -et retenant toujours Légorille, qui se démenait comme un beau diable en poussant des rugissement inhumains pour atteindre la jeune femme- mit du temps avant de répondre. L'inconnue décida alors d'entrer d'elle-même dans la pièce et s'affala sur la couchette de l'Elfe, en fixant Gandoulf avec circonspection.
    - C't'un costaud, vot' copain. J'suis surprise qu'il parvienne encore à respirer après ce que ces roublards lui ont fait subir hier soir.
    Utz suivit son regard et regarda mollement son ami, qui dormait la bouche grande ouverte, d'où s'échappaient des ronflements phénoménaux. Et aussi un long filet de bave.
    - A mon avis, il est plutôt dans le coma.
    - Qui est cette gente dame ? demanda Légorille, sortant de sa torpeur.
    L'inconnue le fixa avec étonnement:
    - Il a un problème, lui, non ? 
    - Vous croyez ? répondit Utz, blasé. Légorille, lâche ce marteau.
    L'intéressé observa l'objet avec curiosité, comme s'il n'en avait jamais vu, et retourna sur sa paillasse. Il entreprit de regarder l'outil sous toutes les coutures, et testa ses innombrables utilités, avant de glapir après s'être défoncé l'oeil.
    - Qui êtes vous ? demanda alors Utz, sans prêter plus cas à l'Elfe.
    - On m'a donné de nombreux noms. 
    - Et celui que l'on vous donne en ce moment, c'est lequel ?
    La jeune femme aux épais cheveux roux retourna son regard torve à Utz. Ses yeux verts pétillaient d'intelligence. 
    - Zhara. 
    - Drôle de nom.
    - Je suis aussi une drôle de personne, répliqua-t-elle avec un sourire mutin.
    Utz se dit qu'il n'en doutait pas une seconde, et poursuivit.
    - Que me voulez-vous ?
    - Comme j'l'ai dit plus tôt, j'ai entendu dire que vous n'étiez pas du coin. Il ne se passe pas grand chose dans les environs, petit homme, et j'ai appris avec le temps que les étrangers étaient souvent une mine d'aventures et d'occupations. J'avais pas y aller par qat' chemins: je veux vous accompagner, où que vous alliez. 
    Utz fut bien tenté de lui répondre 'à la mer, ramasser des bigorneaux', mais il se dit qu'elle ne le croirait probablement pas. Il lui expliqua donc la vérité, et elle se fendit d'un immense sourire futé:
    - J'avais raison. J'en suis! 
    Utz soupira.
    - J'imagine que vous ne demandez pas vraiment la permission...
    Le sourire qu'elle lui décocha en retour était suffisamment explicite.

    Ils quittèrent l'auberge au petit matin, alors que la brume plongeait encore la campagne sous un épais manteau cotonneux. Gandoulf -qui était finalement sorti de son pseudo coma- avait été enchanté d'apprendre que leur petit groupe comptait à présent une invité imprévue. Légorille semblait tout autant enthousiaste, et Utz en comprit la raison lorsque Zhara prit la tête, en remuant des hanches avec énergie.
    - Vous vous préparez pour une parade ? lui demanda-t-il avec ironie, alors qu'ils se reposaient au bord d'un champ.
    - Que voulez-vous dire, petit homme ?
    Utz n'était vraiment pas du genre à piquer un fard. Surtout pas pour ça. Aussi fut-il consterné de sentir son visage s'enflammer.
    - Rien. Laissez tomber.
    Son rire était la pire des humiliations, surtout qu'il était persuadé qu'elle avait très bien compris de quoi il parlait.

    Aux alentours de midi, ils croisèrent un cadavre au bord de la route. Gandoulf fit rapidement le signe de croix, tandis que Utz détournait le regard, que Légorille poussait des cris d'effroi, et que Zhara s'approchait du corps.
    En un seul geste fluide, elle détacha la bourse qui pendant encore à la ceinture du pauvre homme, et le fourra dans la besace qu'elle portait à la hanche.
    Aussitôt, Gandoulf se récria.
    - Voler un mort! C'est de la profanation!
    - J'vois pas pourquoi. Il est pas enterré, que je sache.
    - Mais c'est infâme! Qui es-tu, femme, pour te montrer si vile et cruelle ? Tu n'as donc aucun scrupule à voler, piller, et ce même sur des cadavres humains ?
    - D'un côté, j'vois pas c'que j'pourrais dérober sur le cadavre d'une chèvre.
    Et cela continua tout l'après-midi. Utz était sur le point de les assommer tous les deux avec le marteau que l'Elfe avait gardé, quand Zhara attrapa Gandoulf par le col et le souleva, si bien que ses pieds quittèrent le sol.
    - Écoute-moi bien, petit prêtre de cambrousse à la noix, j'ai pas rejoint cette foutue équipée pour supporter tes sermons. Tu ferais mieux d'arrêter de me les briser si tu veux pas que la pointe de ma dague vienne chatouiller tes côtes, pigé ?
    Gandoulf, bégayant sous ses dread-locks, s'empressa de hocher la tête.
    Zhara le reposa, lui épousseta sa toge dans un accès de bonté, et ajouta:
    Il fut un temps, j'étais une femme honnête qui allait à la messe tous les dimanches matins, un temps où je ne pillais pas les cadavre et ne tuais pas pour l'argent, un temps où la milice du Royaume de me poursuivait pas, un temps où ma tête n'était pas mise à prix dans chaque troquet. Ce temps est passé, et je suis ce que je suis. Trois hommes ont abusé de moi alors que je rentrais du lavoir. Ils m'ont jetée dans un fourré et une fois que leur petite affaire était finie, ils m'ont laissée là, ils sont repartis en se balançant de grandes claques dans le dos, comme s'ils avaient expédié une affaire courante de la plus exquise des façons. Je suis restée là, j'avais trop mal pour pleurer. J'ai juré que jamais ils ne referaient un coup pareil à une gamine de quinze ans. Alors j'ai du apprendre à me défendre. A force de fréquenter certaines personnes, j'ai acquis un sens moral déplorable, et ça me va à la perfection. Je ne vis que pour me venger de ces ordures, les empêcher de recommencer, et ça exige certains sacrifices. Je vais retrouver les noms de ces pourritures et leur faire payer.
    Elle parut vouloir ajouter quelque-chose, rencontra le regard désolé et horrifié du pauvre Gandoulf, puis se détourna, en balançant le mot de la fin.
    - Allez, venez les mecs. J'ai pas envie de dormir dehors. Y'a un village à une ou deux lieues d'ici, si on se dépêche, on devrait pouvoir y arriver avant la nuit. 
    Utz et Légorille échangèrent un regard inquiet. Avoir une femme dans l'équipe, ça craignait déjà un peu, mais une femme montée sur ressorts, d'une force colossale, belle, et victime de viol, c'était l'horreur. Le plus étrange, c'était que Zhara me semblait pas se cacher, au contraire elle avançait avec détermination, usant de ses atouts féminins avec effronterie, à la limite du vulgaire. Gandoulf, légèrement refroidi, ne lui parlait plus qu'avec respect - un peu trop de respect, peut-être- et affichait une mine consternée. On se serait crus à un enterrement. Voyant leurs mines déconfites, Zhara se cru forcée de détendre l'atmosphère:
    - Hé, les mecs. C'est pas parce-que j'ai été violée par des connards d'enfoirés qu'il faut faire ces tronches là. Ca me donne limite envie de m'offrir au premier passant, plutôt que de subir vos regards horrifiés. 
    Ils la regardèrent s'éloigner en chantonnant, complètement à la ramasse. Une telle femme existait-elle vraiment ?

     
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