• Il n'y a plus d'espoir

    Voici une nouvelle, écrite dans le cadre d'un défis sur mon forum d'écriture, dont voici l'énoncé: 

    Torture.

    -> Un de vos proches se suicide sous vos yeux, vous ayant préalablement empêché(e) de tout mouvement, du moindre geste pour l'en empêcher. Racontez ce que vous ressentez.

     

    Il n'y a plus d'espoir

    Son souffle rauque montait jusqu'à mes oreilles, et je fus soudainement pris de l'envie fugace d'enfouir ma tête entre mes bras, et d'appuyer mes mains sur mes tempes pour ne plus entendre. Lacérant les lambaux de mes pensées, la même ranguaine effectuait un va et vient incessant. 

     

    Elle va mourir, et tu ne peux rien faire.

     

    Devant moi, le corps de ma femme reposait dans le lit d'hôpital, presque trop fragile pour supporter le poids des couvertures. Son visage, blaffard et cadavérique, n'exprimait qu'un soulagement palpable, ainsi que quelque-chose d'autre, quelque-chose qui me fit frissonner. 

    Elle avait hâte.

     

    Un médecin entra dans la chambre, déposa sans un mot un gobelet en plastique contenant trois comprimés -les choses qui allaient la tuer. 

    La femme que j'aimais saisit les médicaments, et les avala avant de boire un verre d'eau. 

    Croisant mon regard terrorisé, elle eut un faible sourire, et me tendit la main. 

    Sentir sa peau froide contre ma peau ne fit que renforcer ma détresse.

    J'avais envie de pleurer.

    Je n'en peux plus, avait-elle dit. Je n'en peux plus de souffrir, je n'en peux plus de vivre dans la peur, la peur du lendemain...car chaque lendemain est plus douloureux que le précédent...  je veux mourir. 

    C'était son droit, son choix. Elle voulait mourir. Le cancer était trop fort. Il la tuait. 

    Peut-être par fierté, peut-être par peur de se voir dépérir de l'extérieur, elle voulait mettre fin à sa vie. Elle abandonnait. Elle avait trop mal.

     

    Elle me dit "Qu'est-ce-que tu ressens ?" mais je ne sais pas quoi répondre. Je ne peux que fixer son visage émacié, qui n'est plus que l'ombre de lui-même. Seuls ses yeux gardent une étincelle de vie -la dernière. 

    Son visage se brouille, de l'eau coule sur mon visage, et je comprends que je suis en train de pleurer. Sentant un sanglot enfler dans ma poitrine, je serre les dents. Je ne veux pas pleurer. Pas devant elle. Je veux être fort pour l'accompagner, je veux être fort pour ne pas qu'elle soit seule. Mais je sais que c'est faux. C'est elle qui est forte. C'est elle qui n'a pas peur, elle qui affronte la mort en un dernier face à face loyal, elle qui va mourir pour ne pas que le cancer l'emporte. Elle va se sacrifier pour ne pas perdre la bataille.

    Qu'est-ce-que tu ressens ? Je ne sais pas. Seul le vide et les larmes m'emplissent désormais, un vide béant, qui déchire mon coeur et entrecoupe ma respiration. 

     

    Elle va mourir, et tu ne peux rien faire.

     

    C'est vrai, je ne peux rien faire. Elle a signé ce papier, ce foutu papier, qui couvre l'hôpital au cas où je le poursuivrais en justice. Je lui ai promis de n'en rien faire, mais l'hôpital lui, n'a pas confiance. Mais j'ai promis. Parce-que c'est tout ce que je peux lui offrir.

    Qu'est-ce-que tu ressens ? Rien. Rien...

    Elle me sourit tendrement, m'attire vers elle et dit: Viens, viens près de moi. 

    Lentement, je lui obéis, je me glisse sous la couette et elle colle son petit corps contre le mien. Aujourd'hui, je n'éprouve plus de désir. Aujourd'hui, je n'éprouve plus rien. Je suis vide. 

    Mes yeux se noient dans les siens, et je recherche désespérément une bouée à laquelle me raccrocher. 

    Caressant ma joue du bout de ses doigts émaciés, elle chuchotte une berçeuse. Sa voix n'est plus qu'un murmure. Presque inexistant.

    Le médecin avait dit qu'elle mettrait quarante-cinq minutes à mourir. Elle le lui avait demandé. Quarante-cinq minutes. Combien de temps restait-il ? Combien de temps, combien de temps de répit, avant... 

     

    Elle va mourir, et tu ne peux rien faire.

     

    J'ai peur, je souffre, je souffle d'une voix rauque, inaudible. J'ai peur.

    Elle pelotonne sa tête au creux de mon épaule, là où elle se réfugiait toujours depuis notre rencontre. Il ne faut pas avoir peur, dit-elle. Je t'en prie, n'ais pas peur. Tout va bien. 

    Mais si demain, si demain on trouvait un traitement, dis-je.

    L'espoir est presque aussi dangereux que le cancer, murmure-t-elle en fermant les yeux. L'espoir nous donne la force de vivre une heure, une journée de plus, et nous oblige à souffrir d'avantage. C'est fini. Il n'y a plus d'espoir. 

    J'ai la gorge trop serrée pour répondre. Je pleure en silence.

    Lentement, les minutes s'égrennent, je ne peux m'empêcher de fixer l'aiguille au cadran de l'horloge. Lentement, son souffle s'appaise, ses muscles se détendent, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus qu'une plume blottie contre moi. 

    Longtemps, je reste étendu là. Les larmes dévallent le long de mes joues, et je ne tente plus de les retenir. Mes bras serrent le corps de la femme que j'ai aimé contre moi, mes mains se crispent sur ses épaules. A travers sa chemise de nuit, je sens sa peau, glacée. 

    Je pose une dernière fois ma joue contre la sienne.

    Aujourd'hui, je suis veuf. Aujourd'hui, je suis un gouffre.

    Aujourd'hui, je suis mort avec elle.

     

     

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  • Commentaires

    1
    Samedi 20 Août 2011 à 16:17

    c'est magnifique....j'ai envie de chialer. pourtant sa m'arrive jamais de pleurer en lisant. c'est super beau se que tu écris!

    2
    Grabouilleuse Profil de Grabouilleuse
    Samedi 20 Août 2011 à 17:25

    Merci! Et navrée de te faire pleurer... T_T

    3
    Samedi 20 Août 2011 à 17:44

    c'est pas de ta faute c'est la faute de se que t'écris TT^TT sa a le don de me toucher tellement c'est beau~

    4
    Grabouilleuse Profil de Grabouilleuse
    Samedi 20 Août 2011 à 17:46

    Ooh, merci 

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