• Prologue (Victorian Dreams)

    Les éléments que je devais placer dans le texte étaient:

    lieu: Londres
    objet: une fourchette en or incrustée de diamants
    personnage: Emma Wilson
    animal: une poule rousse


    Prologue

     

    De par sa vie, et les remarques qui lui avaient été faites, Emma Wilson était une bonne personne. Calme, docile, elle était la fierté de ses parents, Lord et Lady Wilson; et tous deux aimaient à vanter les mérites de leur fille lorsqu’ils se trouvaient à la cour. L’épaisse chevelure acajou d’Emma donnait constamment du mal à coiffer à sa femme de chambre, mais cet héritage emplissait sa mère de joie. Les boucles étaient à la mode.

    S’ils n’avaient pas les moyens de prétendre au statut de comte ou duchesse, la famille Wilson prospérait sans soucis dans la petite noblesse, et pour cause: Lord Wilson était propriétaire d’une multinationale, et importait son thé des Indes. Dans tout Londres, le thé Wilson était réputé, et il arrivait que son nom arrive aux oreilles de la haute société anglaise. 

    Un jour, quand Emma avait seize ans, un coursier apporta un billet à la demeure des Wilson. Emma, qui faisait ses gammes dans sa chambre, fenêtre grande ouverte pour profiter du beau soleil de l‘après-midi, entendit leur valet ouvrir la porte. 

    « B’jour, j’ai un mot pour Lord Wilson. D’la part de la Reine. »

    Voulant en savoir plus, Emma referma le clapet de son piano et descendit les escaliers. Le coursier était maintenant dans le vestibule, où Lord Wilson avait été appelé. La mère d’Emma n’aimait pas savoir les gens crasseux à l’intérieur de la maison, toute avancée dans le reste des pièces à vivre leur était donc interdite.

    - Qu’y a-t-il, père ? Fit Emma en s’approchant.

    La grosse figure de Lord Wilson était rouge de confusion, mais ne tarda pas à s’éclairer d’un large sourire, un sourire de jouissance.

    - Ha! Il semblerait que notre Majesté eut ouï dire des mérites de mon thé. Nous sommes conviés à goûter cet après-midi en sa compagnie.

    - Boire un thé… avec la Reine ? Répéta Emma, trop estomaquée pour réagir. 

    Sa mère, qui venait d’arriver, s’en chargea. La main sur le cœur, paraissant sur le point d’étouffer, elle ramassa le bas de ses jupes et ordonna à sa fille:

    - Emma, ne restez donc pas ainsi la bouche ouverte. Allez changer de toilette, et demandez à la femme de chambre de vous aider. Vous ressemblez à une poule rousse, ainsi coiffée. »

     

    Ils étaient arrivés à Buckingham lorsque les quatre heures de l’après-midi sonnaient encore. Des soldats portant une toque noire montaient la garde à l’entrée, et Emma ne put s’empêcher de frissonner en voyant leur visage inexpressif, sinon inquiétant. Ils furent conduits dans une pièce de belles dimensions, qu’un majordome décrivit comme étant  « la salle d’attente ». Emma, enchantée par toutes les richesses qu’elles voyaient autour d’elle, était incapable de prononcer un mot, et ce silence pouvait passer pour de la retenue distinguée. En revanche, sa mère, elle, avait entrepris de décrire à voix basse tout ce qu’elle voyait. Son époux lissait sa moustache avec satisfaction, et on pouvait voir une lueur de convoitise dans ses petits yeux brillants. 

    Enfin, après un moment qui leur paru des heures, le majordome revint, s’inclina légèrement, puis leur demanda de le suivre. Il les guida jusqu’au devant d’une porte à double battants immense, en bois de chêne verni, et les ouvrit. De l’autre côté, tout ce qu’Emma remarqua d’abord, ce furent les fenêtres qui couvraient les murs, ce devaient être les plus grandes qu’elle avait jamais vues, et d’épais rayons de soleil tombaient sur le tapis rouge, qui ornait le sol dallé de marbre, à leurs pieds. Jamais poser les pieds sur un tapis n’avait semblé à Emma aussi intense. Peu à peu, l’idée de se trouver chez la Reine prenait tout son sens.

    Celle-ci était installée dans un fauteuil recouvert de velours côtelé, aux coutures brodées de fil d’or. Lorsque le majordome arriva à sa hauteur, et annonça l’arrivée des Wilson, elle se retourna, et Emma fut émerveillée de la gentillesse et de la grâce qui émanaient de ce visage. 

    La Reine désigna les trois autres fauteuils entourant la petite table qui trônait là, en marbre surement, et ils s’y assirent. 

    - Voici donc l’heureux propriétaire de ce thé dont tout Londres vante les mérites, commença la Reine avec un doux sourire. Je suis heureuse de vous avoir à mes côtés pour en boire, Lord Wilson.

    - Votre Majesté, répondit l’intéressé, je ne fais que mon travail d’honnête homme, et je ne cesserai jamais de rechercher le thé aux arômes les plus exquises, ne serait-ce que pour vous ravir. 

    - Voilà un but qui me semble bien agréable à poursuivre! Eh bien donc, vous êtes ravissante ainsi, Lady Wilson. 

    Ils discutèrent de la sorte pendant plusieurs minutes, et la Reine ne semblait pas remarquer Emma, que cela arrangeait bien. Si elle était en admiration devant sa Majesté, elle était persuadée de ne pas parvenir à prononcer un seul mot correct en sa présence, encore moins si elle devrait lui répondre. Et sa mère lui avait bien recommandé avant de monter dans la calèche de ne pas déshonorer leur famille. Et quelle meilleure manière de faire fuir le déshonneur que de se taire ?

    Ils goutèrent le thé de Lord Wilson, que la Reine trouva effectivement excellent, puis mangèrent un peu de ces cakes fourrés à la confiture, saupoudrés de sucre en poudre. Ils mangeaient avec des fourchettes en or incrustées de diamants, et buvaient dans des verres à pied en Crystal. Ici, tout semblait plus grand, plus brillant, plus beau que dans le reste de Londres. 

    A la fin du goûter, quand il fut temps pour eux de partir, la Reine rappela Lord Wilson pour lui proposer un contrat avec Buckingham. Celui-ci était tellement ravi -il était évident qu’il n’avait cessé de faire de nombreux sous-entendu à ce sujet, mais cependant pas au point que cela n’en soit déplacé-, que son épaisse et grasse figure, devenue écarlate, semblait trop grande pour abriter ses petits yeux émerveillés. 

    Durant tout le trajet du retour, il n’eut de cesse de se vanter, et cela aurait été tout à fait mesquin de dire qu’il dépassait les limites: son thé était, après tout, le meilleur de toute l’Angleterre. Et ce statut de riche marchand, adulé du pays entier, donna aux Wilson la chance de retourner à nouveau au palais.

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