• Limbre (Partie 4)

    Mes parents ne se seraient probablement pas rendus compte de mon absence cette nuit là s’il n’y avait pas eu le problème des cheveux. En effet, bien qu’ayant enflé - exagérément, selon moi-, mon genoux ne me faisait pas souffrir au point que cela se voie. Je masquai mes nombreuses égratignures sous des vêtements amples, et me tenais légèrement courbée pour ne pas faire souffrir mes côtes endolories.

    Oui mais, les cheveux, c’était une autre paire de manches.

     

    Le lendemain, je découvris donc, et à mes dépens, que se couper les cheveux soimême, sans miroir, avec un tesson de verre, sans lumière et en pleine nuit, n’était pas vraiment la meilleure façon de parvenir à un résultat potable.

    On aurait dit qu’un enfant de cinq ans s’était amusé à découper en zig-zag ma tignasse. Et je n’avais aucun foulard que j’aurai pu nouer sur ma tête pour masquer le massacre, aujourd’hui du moins.                                                                                 Ma mère ne s’en rendit pas compte immédiatement. Ils étaient tous les deux trop accablés par l’arrestation de Paul pour faire attention à ma coiffure, comme ils ne remarquèrent pas que je portais un vieux jogging rapiécé que je mettais d’habitude en pyjama.                                                                                                                            Ce fut seulement dans l’avion, installés aux places que nous avait réservé Brook, qu’ils daignèrent me regarder bien en face.

    « - Chérie…tes cheveux…

    Je détournai le visage, incapable de répondre quelque-chose de cohérent sans avoir à dire la vérité sur les évènements de la nuit dernière.

    - Tu as fait ça toute seule ? Poursuivit ma mère, inquiète. Pourquoi ?

    - Je…je…bafouillai-je lamentablement, la gorge nouée.

    - Oh, chérie. Je sais que tu es triste, nous le sommes tous. Mais il faut nous faire à cette idée, mon coeur…Paul…Paul est…ne parlons pas de ça.

    - Cette femme, Brook…elle a raconté des choses horribles sur Paul…

    - C’est son travail, ma puce…

    Je découvris ainsi que le travail des policiers était de raconter des bobards à la famille des accusés. Youpi!…

    - Quoiqu’il en soit, tu n’as pas à te faire du mal parce-que tu es triste. Ce n’est pas de ta faute. Tu n’étais pas responsable de ton frère.

    Et puis, je compris que ma mère pensait que je m’étais tailladé les cheveux à cause de l’arrestation de Paul. Elle pensait sans doute que je me sentais responsable, que j’avais des remords, ce genre de choses.

    - Je sais mais…c’est si improbable! Paul est quelqu’un de bien…

    - Paul a tenté de tuer la Reine, mon chou, chuchota ma mère tandis qu’une hôtesse

    passait dans le couloir. Néanmoins, je vis la personne devant nous jeter un coup d’oeil par-dessus son épaule, discrètement.

    - Alors tu le crois ? Tu crois vraiment que Paul est coupable ?

    - Tout l’accuse, mais tu peux me croire quand je te dis que ça ne me plait pas…

    - Mais papa n’y croit pas, lui.

    - Et toi non plus.

    - Bien sur que non! M’exclamai-je, outragée.

    Ma mère me regarda avec un sourire triste, puis elle me conseilla de dormir, tu as l’air fatiguée ma chérie, la nuit a été dure, pas vrai ? Elle a été dure pour tout le monde, maman. Dors bien, mon coeur. Toi aussi, M’man.

    Atterrissage. Roissy.

    Sa foule, ses bruits, ses odeurs.

    Puis nous prîmes le train jusqu’à une ville proche de chez-nous.

    Les jours passèrent avec lenteur et monotonie, tout nous semblait si…décalé.

    Et nous nous sommes efforcés de reprendre la même vie qu’auparavant.

    Mes parents reprirent leur travail. Et je dus retourner au collège.

    Depuis la conversation que nous avions eue dans l’avion, ma mère s’inquiétait des sentiments que je pouvais éprouver vis-à-vis l’arrestation de Paul.

    Je crois qu’elle craignait que je fasse une dépression, ou que je me suicide.

    C’est vrai que, par moments, l’oubli me semblait préférable à la torture que je m’infligeais en subissant le regard des autres. Malgré la proposition de mes parents de ne pas reprendre le collège tout de suite, j’avais refusé. Je voulais affronter le dégout des autres. Je voulais les braver.

    Inconsciemment, je m’étais faite la promesse que je trouverais un moyen, n’importe lequel, pour que Paul soit reconnu innocent.

    Un soir, après une journée particulièrement dure, je m’étais accordé le droit de souffler devant la télé.

    Mais j’avais vite regretté ce choix.

    Un énième reportage sur la tentative d’assassinat de la Reine était diffusé.

    Tout en sachant que j’allais me maudire ensuite, j’avais profité de l’absence de mes parents et monté le son.

    « …preuves réunies semblent accuser le suspect qui avait été mis en garde à vue provisoire. La situation ne changera donc pas, en l’attente de son procès, prévu en juin prochain. »

    Bien après que l’émission ne se soit terminée, je fixais toujours l’écran des yeux, incapable de réagir. Une vague de haine me submergea, et je sentis un frisson parcourir ma nuque.

    « - Les connards…

    Un procès.

    - Les connards…

    Un procès, des preuves, un excellent suspect, une jeune inspectrice talentueuse, le crime parfait. Une peine d’enfermement à vie.

    - Les connards… »

    Je pleurai.

    On est pas dans un roman où tout se termine bien. On est pas dans le genre d’histoire où le super-héros serait venu me serrer dans ses bras en me proposant un marché. On est pas dans un conte où le méchant meure à la fin et où les gentils gagnent et ont pleins d’enfants.

    Vous voulez que je vous dise ? Pour les autres, nous n’étions pas les gentils.

    Alors nous n’avions aucune raison de gagner.

    Le lendemain, affronter les autres au collège fut pire que d’habitude.

    Les visages se tournaient dans ma direction, ils me montraient du doigt, me désignaient comme si c’était moi la criminelle.

    Même les professeurs étaient distants et désagréables.

    Après que la prof de français m’ait ouvertement et injustement humiliée devant la totalité de la classe, je me levai sans un mot, pris mon sac et sortis de la classe.

    Le pion me laissa quitter le collège sans m’interpeller.

    Pour eux, j’étais pire que la peste. On ne pouvait pas rire de moi. On ne pouvait que me haïr par principe et me reléguer au rang de parasite.

    Je voulais voir les arbres. Je voulais être seule.

    Je laissai mon sac au bord d’un sentier et pénétrai dans la forêt avoisinant le village.

    Après m’être suffisamment enfoncée sous le couvert des arbres, au point de ne plus discerner les bâtiments derrière moi, je me laissai tomber au pied d’un chêne.

    Je le sais parce qu’il y avait un tapis de glands à moitié mangés à côté du tronc.

    Une famille écureuils devait habiter dans le coin.

    Je fermai les yeux, je voulais pleurer, je n’y arrivais pas.

    J’entendis une voix.

    « - On dit que les peines les plus lourdes sont celles qui nous rendent incapables de pleurer. J’ai toujours cru que c’était une expression à la con qu’utilisaient les gens insensibles parce-que ça les arrangeaient bien.

    Je levai la tête, mais mis du temps à distinguer sa silhouette dans le feuillage du chêne. Aussitôt, je me redressai et m’écartai du tronc.

    - Oh là! Je vais pas te manger. C’est pas pour ça que le vilain loup est ici. Ca serait déjà fait, sinon.

    - Qui êtes-vous ?

    La femme perchée dans les branches de l’arbre se mit à rire, un rire cristallin qui me donna mal à la tête.

    - On s’est déjà croisées. Tu te rappelles sans doute de moi.

    - Je pourrais peut-être mieux me rappeler de vous si vous descendiez de là haut.

    - Eh bien petit Chaperon Rouge ? On a peur du Grand Méchant Loup ? Mère Grand aurait honte de toi. Je te signale que c’est pour te voir que j’ai quitté l’Angleterre. Et voila comment tu me remercies d’avoir fait le déplacement ?

    - Je ne trouve pas ça drôle.

    De nouveau, elle eut un rire, et je perçus bientôt un léger bruissement de feuillage, et distinguai son ombre se déplacer.

    Elle atterrit à un mètre de moi, avant de se redresser avec souplesse.

    C’était la jeune femme blonde que j’avais rencontrée dans la maison de Jared.

    Elle lu le trouble sur mon visage:

    - Mais oui, petit Chaperon. Tu te souviens de moi.

    - Pas tout à fait. Je ne connais pas votre nom.

    - Lou.

    - Oh, arrêtez avec votre jeu stupide. Je ne suis pas le Petit Chaperon Rouge, il n’y a jamais eu de Mère Grand, et vous n’avez rien du Grand Méchant Loup.

    Elle pencha légèrement la tête de côté.

    - Je m’appelle Lou.

    Je mis du temps à comprendre, et bafouillai:

    - Vous n’êtes pas anglaise…

    - Bien joué Sherlock, railla-t-elle. Je suis née en France.

    Son ton froid et caustique m’effrayait autant que je la trouvais antipathique.

    Mue par l’instinct, je m’éloignais d’elle lentement:

    - Qu’est-ce-que vous me voulez ?

    - C’est Jared -tu te souviens de Jared ?- Qui m’envoie.

    - Oui, je me rappelle de lui, fis-je, soudainement rassurée. Si cette jeune femme ne m’inspirait pas confiance, ce n’était pas le cas avec son ami.

    J’ajoutai aussitôt:

    - Mais ça ne me dit pas ce que vous me voulez.

    - Moi, je ne te veux rien, déclara-t-elle, l’air un peu dégoutée. C’est lui qui veut

    absolument te parler. Mais il a été retenu en Angleterre à cause de son…travail. Donc je m’occupe de faire la factrice. Y a-t-il un endroit où nous pourrions parler sans être écoutées ?

    La question me surpris, mais je me dépêchais de lui proposer d’aller chez-moi. Mes parents seraient au travail jusqu’à ce soir, et il y avait vraiment très peu de risques que quelqu’un ait envie de passer me faire un petit coucou.

    Nous étions dans ma chambre, et Lou faisait le tour de la pièce en jetant des coups d’oeil à gauche, à droite. Je compris aussitôt qu’elle enregistrait chaque détail pour pouvoir décrire l’endroit avec précision plus tard.

    - Bien. Tu te demandes sans doute ce que Jared veut te demander. Et je te prie de me croire, il a mit du temps pour me convaincre de faire le déplacement pour aller te voir toi. Surtout qu’on ne peut pas vraiment dire que tu n’es pas une gamine banale et insignifiante. Enfin bon. Il a toujours eu des idées farfelues…

    - Vous pourriez accélérer le mouvement ? Dis-je, mal à l’aise.

    Aussitôt, Lou me foudroya du regard.

    - Banale, insignifiante, et impolie. Tu cumules.

    Je me bornai à ne rien répondre et décidai de passer au-dessus de l’insulte.

    - Ta famille a des ennuis en ce moment, non ?

    Comme peu de temps auparavant, sa question me prit de court, et j’eus un moment d’hésitation avant de hocher la tête.

    - Voir ton frère accusé de tentative de meurtre, ça ne doit pas être facile à vivre.

    D’autant plus que la date de son procès est déjà fixé, et qu’il n’a aucune chance d’en réchapper…

    - C’est fou comme vous êtes douée pour remonter le moral des gens, railla-je.

    - …cependant, il parait que tu as supplié Jared de te donner un coup de main, et nous

    pensons tous les deux que c’est pour cette raison. J’ai raison ?

    - Ca se pourrait.

    Nous nous affrontâmes du regard, et elle finit par poursuivre:

    - Simple curiosité, pourquoi lui as-tu demandé de l’aide ?

    Je piquai un fard et bafouillai lamentablement:

    - Je sais pas, il a l’air gentil et puis…c’était comme si l’instinct me poussait à lui demander ça. Mais quand j’y repense aujourd’hui, ça me semble idiot de demander ça à un inconnu.

    - Oui.

    Une ou deux minutes passèrent avant qu’elle ne daigne continuer ses explications.

    - Jared te propose un genre de…marché.

    Je ne pus m’empêcher d’ouvrir les yeux grands comme des soucoupes, et Lou cessa d’arpenter la pièce pour s’asseoir à côté de moi, sur mon lit.

    - Ca ne se voit pas forcément comme ça, mais Jared et moi faisons partie d’un groupe de personne chargées de faire respecter la loi et de déjouer des complots.

    - Vous êtes flics ?

    Elle eut un rire spontané:

    - Grand Dieu, non! Nous n‘agissons pas officiellement, encore moins pour l‘Etat, mais plus pour l‘intérêt du plus grand nombre. Les gens qui nous connaissent changent de trottoir lorsqu’ils nous croisent dans la rue.

    - De la Mafia, alors.

    - Si j’étais de la Mafia, je t’aurai déjà tiré une balle à bout portant au milieu du front et jeté ton cadavre dans la rivière.

    Un ange passa.

    - Il arrive que notre groupe recrute des personnes dans ton genre. D’ordinaire des enfants orphelins qui seront formés tout au long de leur adolescence avant d’obtenir le titre d’Agent. Nous les choisissons en fonction de leurs intérêts. L’entrainement que les recrues doivent subir est extrêmement difficile, et les enfants qui ont un but particulier s’en sortent mieux que les autres.

    - Je pige rien à ce que vous racontez, fis-je en m’excusant presque.

    Lou soupira, rejeta sa mèche en arrière et ses cheveux blonds pâles cascadèrent dans son dos. (Je sus alors à qui elle me faisait penser. C’était le portrait craché de Ino dans le manga Naruto. Mais ce n’est pas une information très importante.)

    - Je ne peux pas t’en dire beaucoup plus, fit-elle en retrouvant son air glacial.

    - Vous êtes gonflée, ne pus-je m’empêcher de lui faire remarquer.

    Elle eut un sourire un peu moins glacial que le précédant et recommença à épier par la fenêtre.

    - Vous attendez quelqu’un ? Demandai-je ironiquement.

    Elle s’abstint de répondre, comme de bien entendu, et haussa les épaules:

    - C’est à toi de voir. Nous te proposons ça, et il n’y aura pas de prochaine fois. Tu as intérêt à faire le bon choix.

    Une idée germa dans mon esprit:

    - Je peux aussi vous dénoncer à la police. Vous avez bien dit que vous faisiez partie d’une association agissant illégalement.

    - Vraiment ? Et que leur dirais-tu ? Railla-t-elle.

    Après un court instant de réflexion, je fus forcée d’abandonner cette idée. Je n’avais aucune information concrète concernant leur groupe machin-chouette.

    - Comment s’appelle votre bande de malfrats ? Demandai-je innocemment.

    Lou eut un sourire presque gentil:

    - Allons, tu ne crois tout de même pas que je vais te le dire, ma chérie.

    Non, je n’y avais pas vraiment cru, de toute manière.

    - Si j’ai bien compris, vous me proposez de rejoindre un groupe dont vous refusez de me donner des informations, ou rien ?

    - C’est à peu près ça.

    - Vous faites partie d’une secte ?

    Agacée, elle eut un geste de la main et fit un pas en avant.

    - Je n’ai pas le temps de jouer à ça avec toi. Je viendrai te voir dans trois jours. Tu devras avoir pris ta décision d’ici là.

    - Seulement trois jours ?!

    - C’est la procédure habituelle. Je ne vois pas pourquoi on la modifierait pour toi.

    Elle s’approcha de la fenêtre et me fit coucou de la main:

    - A dans trois jours!

    Puis elle sauta par la fenêtre. Je me précipitai, et eu juste le temps de la voir disparaître au coin de la rue.

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