• Le Seigneur des Idiots (Partie Six)

    Ceci est la fin... oui, c'est triste, hein ? 

     

    Ils arrivèrent en fin d'après-midi dans un village désert.

    Les maisons étaient toutes vides, inhabitées, et un vent de panique soufflait dans les rues. 

    La terre était applatie, comme si de nombreuses personnes l'avaient foulée à la hâte, fuyant quelque-chose. Légorille s'accroupit pour observer les empreintes, carressa le sol de ses doigts habiles, et décréta:

    - On dirait que ces villageois ont eut drôlement peur. Je n'ai jamais vu une marmotte faire de si longues enjambées.

    - Des marmottes ? répéra Gandoulf bêtement.

    Légorille lui indiqua le panneau planté à l'entrée du village. 

    - Marmotte-city, grommela le prêtre dans sa barbe. Bien sûr. Je le savais.

    - Vous voulez dire que des marmottes ont bâti ce village, et vivent comme des humains, avec le même type de société et de hiérarchie ? demanda Zhara, à peine étonnée sous son casque de boucles rousses.

    - C'est cela même, approuva Légorille en hochant la tête. Et elles parlent. On dit qu'un Dieu fort clément leur a fait don d'intelligence, pour éviter que les humains soient les seuls à contrôler le monde. Malheureusement pour lui, son plan à complètement foiré. Les marmottes ne sont pas très courageuse. Elles fuient au moindre cri.

    - J'imagine que le démon n'a pas dû faire beaucoup de méchancetés pour qu'elles paniquent et prennent la fuite, alors, ricana Utz méchamment. 

    Au même moment, ils entendirent un craquement quelques mètres sur les gauche, provenant d'un fourré.

    Légorille banda aussitôt son arc, tandis que Zhara tirait deux de ses dagues.

    - Qui est là ? demanda Ragnagor. 

    Le craquement de feuilles mortes se produisit de nouveau, et une petite silhouette ronde apparut dessous le buisson.

    - Ne me faites pas de mal, fit un voix aigûe en couinant.

    - Avance.

    La petite chose potelée obtempéra, et ils purent enfin voir de qui il s'agissait quand elle s'avanca dans un cercle de lumière.

    C'était une petite marmotte, pas plus haute que les genoux d'un homme, se tenant sur ses pates arrière. Elle était recouverte d'un soyeux pelage brun aux reflets roux, et ses yeux trop grands pour sa petite figure fixaient le groupe avec un air terrorisé. 

    Zhara renguaina aussitôt ses armes, et s'accroupit devant la créature.

    - Attention! cria quand même Ragnagor. Elle pourrait être armée.

    Mais la jeune-femme ne l'écoutait même pas, et tendit une main avenante vers la marmotte.

    - Qui es-tu ? demanda la jeune femme rousse.

    - On m'appelle Hamchi, couina la petite marmotte. 

    - A tes souhaits, ricana Utz.

    Zhara lui lança un regard noir, et reprit:

    - N'écoute pas les gros méchants monsieurs, ils sont bêtes. Moi, je m'appelle Zhara. Pourquoi es-tu toute seule, Hamchi ? Où sont les autres de ton peuple ?

    Les moustaches de la marmotte frissonnèrent, et elle recula d'un pas avant d'expliquer en couinant:

    - Ils ont fuit le monstre. Le monstre est venu, le peuple de Hamchi a eut peur, ils sont tous partis, ils ont oublié Hamchi!

    De gros sanglots secouaient à présent sa frêle poitrine, et Zhara ne put s'empêcher de la prendre dans ses bras maternels pour la consoler:

    - Je suis sûre qu'ils n'ont pas fait exprès. 

    - Il y a des chances que ce n'ait pas été volontaire, approuva Légorille. Les marmottes sont très émotives, et leur instinct de survie a tendance à prendre le dessus sur leur cerveau.

    - Ah bon, elles ont un cerveau ?

    - Utz, tais-toi!  lâcha Zhara. On va retrouver ta famille et ton peuple, Hamchi. On est là maintenant, et on va tous vous sauver. 

    - Oui, enfin...fit Gandoulf, l'air pas très rassuré. On va essayer, déjà. 

     

    Hamchi, à présent juchée sur les épaules de Zhara, leur expliqua que le démon avait tendu un piège aux habitants de son village. En fuyant, les marmottes s'étaient ruées dans le traquenard, où les attendaient les sbires du Chocolachoxe. Ceux-ci les avaient emmenées dans le repère du démon.

    Zhara ne cessait de promettre des tas de choses à la petite marmotte, et Gandoulf la trouvait de plus en plus gonflée. Quand la jeune femme promit qu'elle demanderait au prêtre rasta de lui trouver un mari pour plus tard, celui-ci haussa le ton:

    - Mais non! Je suis un prêtre, moi, je refuse de jouer le conseiller conjugal!

    - Oh, ça va! cria à son tour Zhara, et encore plus fort. Tu maries bien les gens, tu peux aussi les aider à tomber amoureux, zut! C'est pas si différent!

    Appeurée par ces cris, Hamchi recommença à pleurer et enfouit son visage dans le décolleté de la jeune-femme.

    - Ah, tu vois! Fit celle-ci en regardant Gandoulf d'un air sévère. Tu lui fais peur, à force de hurler comme un goret! Tais-toi un peu!

    - Mais, mais c'est toi qui...

    - Chut!

    Gandoulf lança un regard désespéré à Utz, mais celui-ci se contenta de hausser une épaule. Il avait toujours trouvé que les filles avaient le don inné de s'attacher aux trucs petits et chiants.

     

    Après encore une heure de marche, il établirent un campement provisoire. Utz espérait secrètement qu'ils ne seraient pas attaqués par des monstres durant la nuit. Et puis, ils ne pouvaient pas vraiment compter sur Ragnagor pour les protéger, il l'avait vu sortir un doudou et le cacher à la va-vite sous sa couverture. Ca voulait tout dire.

    Et il doutait fortement que l'arc de l'Elfe et les dagues acérées de Zhara puissent leur être d'une quelconque aide, s'ils devaient combattra une dizaine d'ennemis. Il se demandait si Crin d'Or serait d'accord pour balancer quelques ruades pour assomer leurs ennemis potentiels, quand un éclair zébra le ciel. Une pluie drue tomba peu après, et se changea peu à peu en une neige humide et épaisse. 

    - Mais je le crois pas! s'écria Utz, stupéfait. Il faisait super beau, tout à l'heure!

    - Mon jeune ami, depuis le temps que je vis ici, j'ai pu voir à peu près toutes les météos, même celles qui n'existent pas. Les Dieux s'amusent, au-dessus de la Forêt Originelle, c'est un peu comme leur salle de jeu attitrée. Ils changent le temps à volonté.

    - Génial, grommela le lilliputien en montant sa couverture jusque sur son menton. 

     

    Le lendemain matin, il fut réveillé quand un tas de neige lui tomba sur la figure. Il bondit sur ses pieds, secoua la tête comme un chien mouillé et, l'air hagard, regarda autour de lui en quête du responsable. Il finit par aviser une branche qui bougeait encore, pile au-dessus d'où se trouvait sa tête. Il prononça quelques jurons en brandissant le poing, et faillit écraser Hamchi en voulant ranimer le feu.

    - Bien dormi ? demanda Gandoulf en baillant.

    - Nan. Cette foutue marmotte a passé la nuit à pleurnicher parce-que Zhara ronflait trop, et elle a finit par s'allonger sur mon torse.

    - Et elle a dormi ?

    - Oui, mais les moustaches de marmotte, ça chatouille. Impossible de me rendormir.

    Ignorant le fou-rire de son ami, Utz fit fondre de la neige, et avisa Hamchi, qui le fixait de ses grands yeux candides.

    - Tu veux ma photo ?

    - Petit homme ne ronfle pas, lui, pas comme la fille rousse. Alors je t'aime bien.

    - Ca me fait une belle jambe, ricana le petit homme concerné.

    Aussitôt, un grand bruit d'éclaboussures éclata, et Utz fut trempé de la tête au pied.

    - Mais mince alors, mais qu'est-ce-que tu fous ?!

    Hamchi était tranquillement allongée dans la casserolle d'eau tiède, et se débarbouillait les moustaches avec délice.

    -  C'est l'heure de la toilette!

    - Mais non mais merde mais c'est pas l'eau pour la toilette, c'était l'eau pour le café! 

    Hamchi se figea, sembla réfléchir une seconde, puis décréta:

    - Le café c'est pas bon, caca pue. La toilette c'est plus mieux, la toilette ça sent bon et ça rend propre.

    - En tout cas, se récria Utz en fixant ses amis qui se payaient sa tête, si quelqu'un doit se sacrifier pour buter ce foutu démon, ce sera elle! C'est compris ?

    Pour toute réponse, il ne reçut qu'un hennissement de Crin d'Or. Ce hennissement ressemblait beaucoup trop à un rire.

     

    Trempé et de mauvaise humeur, grelottant sous son manteau de laine, Utz marchait aux côtés de Gandoulf. Celui-ci lui tendit une couverture, mais le lilliputien refusa. Il allait s'empêtrer les pieds dedans, tomber tête la première dans la neige, et se ridiculiser encore plus. Quelle journée pourrie.

    - Dis-moi jeune ami, annonca Ragnagor en s'approchant de lui. J'ai pensé à quelque-chose. 

    - Merveilleux, il sait penser! soupira Utz avec sarcasme. Dites toujours.

    - Je me disais que nous pourrions établir un plan d'attaque pour contrer ce démon. Histoire d'être prêt quand le moment sera venu.

    - Oh, mais c'est tout vu, Monsieur le Bretteur d'Exception, c'est tout vu. Vous lui donnerez de grands coups de votre coupe-choux sur le corps, et nous, nous vous regarderons de loin en applaudissant lors des passes subtiles.

    - Mais... je ne vais jamais y arriver tout seul! se récria Ragnagor bouche-bée, ce qui laissait voir sa dent en or.

    - Ca mon pote, il fallait y réfléchir avant, ricana Utz.

    - Par pitié, mon ami, je vous en conjure! supplia le chevalier en se laissant tomber à genoux devant l'adolescent. Donnez moi le plaisir de contempler votre aide si précieuse, à vous et vos amis, ou je périrai.

    Utz songea que ce ne serait pas une si grosse perte que ça, mais il intercepta le regard courroucé de Légorille. Ah, oui. C'est vrai qu'il voullait le voir décapité, celui-là. 

    Le lilliputien soupira, posa une main hautaine sur l'épaule du chevalier, et finit par acquiescer:

    - Fort bien. Nous vous aiderons. Mais n'oubliez pas que si le combat recquiert un sacrifice, c'est la marmotte ou l'Elfe. Ou vous. Pas moi, pigé ?

    - Pigé, approuva le chevalier avec un clin d'oeil.

     

    Ils arrivèrent là où nichait le démon Chocolachoxe quand le soleil allait se coucher. Ses rayons rendaient la scène iréelle, et pourtant.

    Ils était cachés dans un buisson, et contemplaient une clairière de grandes dimensions, occupée en partie par un large corail, contenant le peuple des marmottes. 

    Des Karabistouilles montaient la garde et jetaient des immondices sur les pauvres prisonnières, sous le joug de leur chef. 

    Le démon Chocolachoxe était juché sur un énorme trône, occupant une large partie de la clairière. Son siège était fait d'ossements, et le soleil couchant le teintait de rouge, comme si la chose assise sur ce siege sépulcral ne rendait pas la scène suffisamment effrayante.

    Le démon Chocolachoxe était un énorme lapin en chocolat.

    Utz eut un haut-le-coeur en contemplant cette créature des enfers, dont les yeux de rubis rouges brillaient d'une lueur sanglante et malsaine. Jamais personne n'avait contemplé de démon plus horrible. 

    Zhara avait de plus en plus de mal à contenir les sanglots appeurés de Hamchi, et elle jeta un regard suppliant à Utz et Gandoulf pour qu'ils lui viennent en aide. Utz, terrorisé par le démon et stressé par les cris de la marmotte, finit par saisir celle-ci et la balança dans la clairière en hurlant: "GRENAAAAAADE!"

    S'ensuivit un silence stupéfait. Zhara, Gandoulf et Ragnagor ouvraient de grands yeux tandis que Légorille menaçait Utz de son poing. Le lilliputien, quand à lui, se demandait bien pourquoi il avait fait une chose aussi stupide.

    - Heum...le stress, sans doute, fit-il en souriant d'un air gêné devant l'air inquiétant de l'Elfe. 

    Mais il fut interrompu par un cri déchirant. Un cri d'animal qui se fait pipi dessus.

    - HAMCHI! hurla Zhara à son tour en bondissant de sa cachette.

    Ses amis n'eurent pas le temps de la rattraper, elle se précipita au centre de la clairière et enserra la marmotte de ses bras.

    - ATTRAPEZ-LES! gronda le Chocolachoxe. 

    Aussitôt, ses sbires -de vulgaires ombres noires en forme de poules, de lapins, de poissons ou d'oeufs munis de pieds- se précipitèrent sur la jeune-femme.

    Le reste du groupe ne put que contempler la scène avec horreur. Leur terreur monta encore d'un cran lorsque le démon demanda à ce que l'on fouille de buisson d'où était sortie Zhara.

    - Je vous avais bien dit qu'il fallait établir un plan! pleurnicha Ragnagor.

    - Vous, ta gueule! Légorille, ajouta Utz, tu penses que tu peux en abattre combien avec ton arc ?

    - Mais merde, mec, mais t'as pas vus, ce sont des ombres, chiotte! trépigna Gandoulf à son tour. Comment tu veux buter des ombres ? Fait chier!

    - On va tous mouriiiiiiiiiir! hennit Crin d'Or.

    - Mais non!

    - Mais si!

     

    ***

     

    Pendant ce temps, Zhara avait été emmenée de force au pied du trône sur lequel se tenait le Chocolachoxe tant redouté. La jeune femme serrait toujours contre-elle la marmotte qui tremblait de tout son corps.

    - Tiens donc, ricana le lapin, avachi sur son siège, une jambe -enfin, patte- passée par-dessus l'accoudoir. Je t'avoue que je ne m'attendais pas à ce que le justicier de la Forêt soit une femelle.

    - Tu as tort de penser que seuls hommes sont capables d'infliger la souffrance. Tu es peut-être en chocolat, je suis sûre que certaines de tes parties de ton anatomie sont aussi sensibles que celles d'un lapin normal.

    Un Karabistouille voulut la faire taire, mais le démon dit:

    - Non...elle m'intéresse. Il se pourrait que je vienne à te faire une proposition de mariage, si tu te montres gentille.

    Pour toute réponse, Zhara cracha au pied du démon. Le visage de rongeur de celui-ci se ferma aussitôt, et ses yeux rougoyèrent d'un éclat encore plus...démoniaque.

    - Qui t'envoie ?

    - Personne ne me dicte ma conduite.

    - NE JOUE PAS A CA AVEC MOI, FEMELLE! QUI T'ENVOIE ME CONTRER ? REPONDS!

    Elle haussa une épaule, l'air peu concernée.

    Alors que les Karabistouilles commençaient à s'approcher d'elle, menaçants, elle songea intérieurement que tous les hommes étaient pareils. Dès qu'on avait besoin d'eux, il n'y avait plus personne.

     

    ***

    Au même moment, toujours cachés dans le buisson, les hommes dont parlait Zhara hésitaient entre: a) Bondir dans la clairière pour lui sauver la vie, b) Prendre la fuite et commencer une nouvelle vie. Inutile de préciser qui préférait la seconde solution.

    - Mais on ne peut pas la laisser toute seule contre ces monstres! s'indignait Utz.

    - Ouais, et j'ai toujours pas vu ta tête voler! renchérissait Légorille.

    - Dangereux...trop dangereux! suppliait Gandoulf. Utz, allons-nous en!

    - Mais non! Je refuse de l'abandonner!

    - Mais on va se faire BECQUETER! trépignait Ragnagor en se rongeant les ongles. 

    - Mais non!

    - SI! Ces choses sont mille fois plus dangereuses que toutes les créatures que j'ai pu combattre dans ma vie!

    - Allons, ne soyez pas si défaitistes! Je suis sûr que le Cerbère que vous avez battu était bien plus menaçant que ce lapin au cacao.

    Ragnagor tiqua:

    - Je n'ai jamais battu de cerbère.

    - Et le Minautore ?

    - Non, bien sûr que non, grand Dieu!

    - L'Hydre ?

    Ragnagor secoua la tête, effaré.

    - Le Sphinx, alors ?

    Nouveau secouage de pellicules.

    - Un chien ?

    - Une souris ?

    - Un moustique ? finit par demander Gandoulf.

    - Hum, j'ai essayé d'en écraser un, une fois, mais je l'ai manqué. Mais de peu.

    Agacé, Légorille finit par l'attraper par le col et le jeta dans la clairière, comme Utz l'avait fait pour Hamchi. Le chevalier s'affala par terre avec un bruit mou, et mis un moment à se rendre compte  où il se trouvait. Puis, un grand cri d'effroi sortit de ses lèvres.

    - Non mais, quel tarlouze! grogna Légorille entre ses dents, avant de bondir du buisson, bientôt suivi par Utz et Gandoulf. Crin d'Or avait pris la fuite depuis bien longtemps, prétextant vouloir à tout prix goùter une de ces fameux ananas poussant un peu plus loin. Personne n'avait tiqué au fait qu'il y ait des ananas dans une forêt de connifères.

    ***

    Les Karabistouilles étaient à peine à un mètre de Zhara quand Ragnagor bondit avec fougue du buisson, et atterrit au centre de la clairière, dans une grande envolée de cape. La jeune femme eut juste le temps de se retourner pour le voir se relever et pousser un grand cri de guerrier, probablement pour se donner du courage, pensa-t-elle. L'Elfe, le prêtre et le lilliputien sortirent à son tour, et se lancèrent à l'assaut des sbires qui les menaçaient de leurs lances. 

    Profitant de ce moment d'innatiention, Zhara tira une de ses dagues et la planta dans le ventre d'un des soldats. L'arme passa à travers l'ombre, et la jeune-femme poussa un cri de rage. Elle esquiva deux-trois coups de lances maladroits, repoussa une botte mieux placée, et bondit littéralement par-dessus un rang de démon, avant de piquer un sprint et de s'enfuir dans les bois, Hamchi toujours blottie contre sa poitrine.

    ***

    Les membres de la gente masculine du groupe étaient totalement dépassés. Les sbires du démon qui les attaquaient n'étaient pas palpables, et leurs coups maladroits les traversaient comme s'ils avaient tenté de blesser de la fumée. De plus, il en arrivait de partout: des arbres, du sol, du ciel. Et pour arranger tout ça, comme si ça ne suffisait pas, l'épais manteau de neige les empêchaient de se mouvoir correctement, en plus de leur demander plus d'efforts.

    Utz, qui n'était pas à proprement parler un combattant, se contentait d'esquiver, roulant dans la neige s'il le fallait, profitant de sa petite taille pour se faufiler entre ses ennemis. 

    Légorille était resté un peu en retrait et tirait flèche sur flèche, mais toutes passaient à travers ses cibles.

    Gandoulf assénait de grands coups de son bâton sur les têtes qui passaient à proximité, sans plus de résultats. 

    Ragnagor, quant à lui...était...était enfoncé jusqu'à mi-corps dans la neige. Il était tombé dans une congère en voulant fuir. 

    Utz eut alors une idée. Il chercha autour de lui une aide potentielle, remarqua Zhara qui prenait la poudre d'escampette dans les bois, et poussa un juron. 

    S'ils s'y mettaient tous, ils avaient une chance de d'acculer les Karabistouilles dans un coin spécifique de la clairrière, où les congères étaient plus nombreuses. Leurs ennemis pourraient s'enfoncer dans les trous, et peiner à en ressortir. Cela leur permettrait de gagner du temps pour liquider ce démon.

    Utz espérait simplement que la disparition du démon impliquait aussi la disparition de ses sbires.

    - LE DEMON! hurla-t-il à ses amis. IL FAUT SE CONCENTRER SUR LE DEMON! ACCULEZ LES OMBRES DANS LES CONGERES!

    Malheureusement pour lui -c'était tout de même un très bon plan, pour un adolescent n'ayant jamais pris de leçons de stratégie guerrière- le Chocolachoxe poussa au même moment un cri. Un cri terrible, qui leur fit se dresser leurs cheveux sur la nuque.

    Un genre de cyclone apparut au centre de la clairière, et le démon hurla à nouveau:

    - VOUS AVEZ OSE TROUBLER MA QUIETUDE ? VOILA VOTRE RECOMPENSE! GOUTEZ A LA PEUR SANS NOM, RENCONTREZ LE CYCLONE DE HERLMINGARDUR! MOURREZ, MISERABLES MORTELS, MOURREZ DE TERREUR!

    Le cyclone de Herlmingardur semblait grandir, grandir... plusieurs sbires restés en retrait furent emportés par ce tourbillon. Pire que tout, c'étaient les hurlements de haine sortant du cyclone qui était effrayant. Utz sentit un frisson sinuer le long de son dos. A coup sûr, s'il tombait dedans, il ne se retrouverait pas au paradis les lilliputiens.

    A cet instant précis,  une langue de feu parut dans le ciel. Plusieurs sbires furent brulés par ce souffle des enfers, et leur ombre parut s'étaller, tandis que les contours de leur corps redevenaient visibles. Une des flèches de Légorille resta fichée dans le coeur d'une poule en chocolat, et elle s'affala au sol, morte. 

    - LE FEU LES REND MORTELS! hurla à nouveau Utz, qui commençait à avoir la voix enrouée à force de gueuler. 

    La situation fut alors renversée. Le feu, brûlant dangereusement leurs ennemis, les rendaient réels, ce qui leur permettait de leur asséner le coup de grâce. Utz s'était depuis longtemps saisi de l'épée qui pendait au fourreau de Ragnagor, inutile. Le chevalier était recroquevillé au sol et priait en appelant sa mère.

    L'épée produisait des dommages irréparables et, bien qu'il avait du mal à la soulever, Utz comprit rapidement le principe. Lever, balancer en avant, et quand ça faisait "Splourch" en éclaboussant du sang, c'était bon, et on recommençait. 

    Ils ignoraient d'où provenait cette langue de feu, surgie de nulle part. Le cyclone se rapprochait à une allure importante, et Utz désespérait de jamais parvenir à ouvrir une brèche dans le flot toujours incessant de leurs ennemis. 

    C'est alors que surgit Zhara, tombant apparamment du ciel, et tenant un genre de briquet en acier d'où s'échappait cette langue de feu. La jeune-femme tourna autour d'elle, crâmant les sbires en chocolat, tandis que Hamchi, perchée sur ses épaules, leur tranchait la gorge avec une dague, en fermant les yeux et s'excusant auprès de ses victimes à chaque fois qu'elle les tuait.

    Une brèche apparut enfin, et Utz s'y engouffra, trainant la lourde épée derrière-lui.

    En face de lui, une grimace haineuse plaquée sur son affreux faciès, se tenait le Chocolachoxe.

    ***

    Bien. Nous voici parvenus au point culminant de notre histoire.

    Dites-moi, vous souvenez-vous de ce que je vous avait dit, au tout début de cette épopée ?

    J'avais prévenu que la neige serait un point important, dans la suite de mon récit. Et bien nous y voici.

    ***

    En face de lui, une grimace haineuse plaquée sur son affreux faciès, se tenait le Chocolachoxe. Le démon avança d'un pas, et tendit un bras. Le cyclone bifurqua dans leur direction. Utz sentait sa dernière heure arriver, mais il se força à rester debout, et fier. Il mourrait en héros, pas comme cet idiot de Ragnagor. 

    - Tu as été trop présomptueux, misérable mortel, grinça le Chocolachoxe de sa voix crissante et caverneuse. Si tu as découvert le moyen d'abatre mes pions, tout n'est pas terminé. Les Enfers vont reprendre leurs droits sur la planète. Personne ne peut rien contre moi. 

    Alors que le cyclone était à présent à deux pas des adversaires, un paquet de neige se détacha d'une branche au-dessus d'eux. Utz vit, stupéfait, la neige tomber pile sur la tête du démon. Celui-ci tituba, aveuglé et secoué par le choc, allant droit dans le cyclone. Il poussa un hurlement tandis qu'il était happé par son propre sortilège, et tournoya quelques instants avant d'être avalé dans le sol, par le cratère qui venait de s'ouvrir. Son cri de désespoir résonna longuement dans la clairière, puis le cratère se referma, et le tourbillon disparut au moment où Légorille abattait le dernier sbires en chocolat.

    Utz, immobile, contemplait les yeux grands ouverts l'endroit où avait disparu le démon.

    - Alors, c'est tout ? Y en a pas d'autres ? s'écria Gandoulf, l'air hagard. (Puis, il s'apperçut de la disparition du démon, et béguaya:) Mais... il est passé où, l'espèce de gros lapin en chocolat ? (Son regard alla jusqu'à Utz, toujours debout:) Utz...mon pote...tu l'as...c'est toi qui l'a...tu l'as zigouillé, c'est ça ?

    Son visage s'éclaira soudainement, et il courrut jusqu'à son ami, manquant se casser la figure dans la neige:

    - Ah, Utz, mon frère! Je le savais! JE LE SAVAIS! Je savais que tu avais l'âme d'un héros!

    Avisant les regards stupéfaits des autres, Utz se força à sourire, gêné:

    - Ouais, enfin... il était pas si balèze que ça, le rongeur!

    Mais, en son for intérieur, il se demandait si ça ne faisait pas trop con, comme façon de mourir. Surtout pour un démon.

    La bonne humeur fut de mise, à partir de cet instant. Zhara, oubliant sa fierté, sauta sur Légorille et l'embrassa à pleine bouche, tandis qu'ils basculait dans la neige.

    Hamchi courrut délivrer les autres marmottes, pleurant de joie (ou de peur devant cette débauche humaine).

    - Ah, oui! s'exclama Ragnagor en se relevant et en épousetant son pantalon. Une bonne petite bagarre, hein! On les as bien niqués, hein!

    Quatre regards noirs l'empêcherent d'ajouter quoique-ce-soit.

     

    Quittant ce lieu de barbarie, l'équipée rebroussa chemin, escortant le peuple des marmottes jusqu'à leur village. 

    En chemin, Zhara expliqua le mystère du briquet cracheur de feu, qu'elle était retournée chercher dans leurs sacs.

    - Je l'ai piqué sur un cadavre, mais il est un peu cassé, il marche un peu trop bien. Je voulais le jeter, mais finalement, je vais peut-être le garder. Il peut toujours servir.

    Arrivés à Marmotte-City, les habitants de celle-ci voulurent à tout prix organiser un banquet pour les remercier de les avoir sauvé. 

    Tout le monde considérait Utz comme un sauveur inter-galactique, et celui-ci décida de ne pas les contre-dire. C'était plutôt agréable, d'être un héros.

    Le lendemain du banquet, après avoir fait leurs adieux à Hamchi (Zhara pleura beaucoup), ils ramenèrent Crin d'Or et Ragnagor chez-eux. Ils quittèrent ce dernier sans regret, et se hâtèrent de s'éloigner de sa chaumière, au cas où il leur aurrait encore demandé de l'aide.

    Sur le chemin du retour, Légorille et Zhara affermirent leur relation. Ils parlaient déjà mariage et bébés. Difficile à le croire, si bien que Gandoulf et Utz ne purent s'empêcher d'éclater de rire au départ. Mais ils étaient très sérieux. Gandoulf espérait que l'influence de l'Elfe empêcherait la jeune-femme de poursuivre ses habitudes de pillage de cadavres, mais il en doutait. Légorille avait lui-même montré ses capacités d'énervement. Il était même très fort à ce jeu là. Les deux amis se demandaient à quoi ressemblerait le bébé. Un bambin psychopathe pilleur de cadavres, aux cheveux roux et au culot monstrueux, probablement.

    Néanmoins, il aurait semblé que Légorille avait calmé les pulsions de meurtre de Zhara. Celle-ci ne rêvait plus de vengeance, mais de chambres décorées d'ours en peluches et de portiques colorés.

    Une fois arrivés au croisement des chemins, plusieurs semaines après leur départ de Marmotte-City, il leur semblait qu'ils avaient passé toute leur vie ensemble.

    - Comment vas-tu faire, alors, si tu ne ramênes pas Ragnagor, demanda Utz à Gandoulf, plus pour retarder les adieux que par réel intérêt.

    - Je vais dire la vérité. Qu'il est bien trop pleutre pour soulever une épée, mais qu'il a beaucoup de bagout, et que c'est un sacré baratineur. Qui sait, ils vont peut-être le réintégrer dans la société comme vendeur de poisson.

    Légorille et Zhara furent les premiers à partir. L'Elfe voulait montrer sa forêt à sa fiancée, mais d'abord, ils désiraient voir la mer, et se marier sur la plage. Gandoulf versa quelques larmes, trouvant cela très poétique. 

    Une fois le couple parti, Utz et Gandoulf se serrerent dans leurs bras et se promirent de se revoir bientôt. 

    Ils se tournèrent le dos, et Utz, portant son baluchon à son épaule, s'en retourna vers Sept, son village. Il souriait. Il se disait que nulle équipée n'avait été, ne serait-ce qu'une journée, plus originale et folklorique que la leur. Ils avaient voyagé, découvert de nouveaux horizons, rencontré des tas de personnes. Ils avaient même sauvé des vies. Utz était heureux. Il allait s'acheter lui-même un pot de Nutela en rentrant. Tout allait pour le mieux.

     Les Karabistouilles avaient fondu dans le néant et le Chocolachoxe avait été refroidi, le monde des marmottes connaitrait enfin la paix.

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